vendredi 22 décembre 2017

Tenir la cadence

 
Il va falloir tenir la cadence,
Le rythme pour entrer dans la danse,  
À toute vitesse, tâche immense
Pour savoir imposer sa présence,
Aucun temps mort, aucune vacances,
Pas de distance, on prend de l’avance.

Pas de temps perdu pour les tourments
Même si tu en prends plein les dents,
Un coup de rein, un coup de rameur,
Ça fait mal, c’est pas pour les frimeurs,
Ça fouette et met du cœur au ventre,
Faut s’ébrouer, sortir de son antre,
Va falloir la tenir la cadence,
Et tout ça, c’est pas gagné d’avance.

Bonne façon pour garder la forme,
Pour plaire et pour rester dans la norme,
Bien protégé, planqué dans le rang
Pas vraiment besoin d’avoir du cran.
Regarde bien droit devant toi,
Bien en face pour avoir la foi,
Voilà c’est pas si mal, t’es présent,
Et bien placé dans le sens du vent.

Vas-y, vas-y, tiens bien la cadence,
Entre avec les autres dans la danse,
Et ferme les yeux pour le moment,
Il n’y en a plus pour très longtemps,
Ce n’est qu’une question de souffle,
Courbe l’échine, reste bien souple,
À force, on se coule dans l’ moule,
Super cool, bien caché dans la foule,
Tu verras, ce n’est guère qu’un rite,
Une habitude et on s’y fait vite.

Venez, les petits gars du monde
Venez, entrez tous dans la ronde,
Allez, prenez-vous par la main,
Le bonheur est bien pour demain,
Il est fait de tout petits riens.
N’en déplaise aux esprits chagrins,
Y’a pas d’mal à s’faire du bien.

 Chantez cet hymne au grand vide
Avant d’avoir trop de rides,
Pas question de rester seul 
Car, comme dit le grand Schmoll,
« Faudrait pas avoir le blues »
Ce serait vraiment la lose.

Dans ce formidable univers sans frontières,
Glissons-nous sans attendre dans le grand concert
Des nations et rendons hommage sans façon
Au temps béni de la mondialisation.


<< Christian Broussas –Cadence - 22/12/2017 • © cjb © >>

lundi 18 décembre 2017

Le premier poème français

 Sainte Eulalie 

         
Sainte Eulalie                     Le martyr de Ste Eulalie           


Eulalie de Mérida est une martyre espagnole du IIIe siècle. Très populaire dans son pays mais aussi en France, elle est connue par la Cantilène de Sainte Eulalie ou chant profane dédié à Sainte-Eulalie.

  Retable de Sainte Eulalie

Ce poème a été composé à l'abbaye de Saint-Amand, près de Valenciennes, peu après 878, date de la découverte des reliques de la sainte. C'est l'un des plus anciens documents en langue d'oïl mais il porte déjà la marque de notre langue actuelle.
On le considère souvent comme le premier poème écrit en "langue vulgaire", mélange de mots latins et vernaculaires, bien avant l’ordonnance de Villers-Coterêts qui a imposé l’exclusivité du français dans les documents relatifs à la vie publique.

     Ste Eulalie par Waterhouse, 1885 (détail)
 
La Cantilène de Sainte Eulalie (IXème siècle)
Version originale    Adaptation en français moderne
Buona pulcella fut Eulalia
Bel avret corps, bellezour anima.
Voldrent la veintre li Deo inimis,
Voldrent la faire diavle servir.
Il non eskoltet les mal conseillers,
In figure de colomb volat a ciel.
Tuit oram que por nos degnet preier
Qued avrisset de nos Christus mercit,
Post la mort, et a lui nos laist venir.
Par souve clementia.
     Bonne pucelle fut Eulalie
     Bel avait le corps, plus belle l'âme.
    Voulurent la vaincre les ennemis de Dieu,
    Voulurent la faire diable servir.
    Elle n'écoute les mauvais conseillers,
    Sous forme de colombe vola au ciel.
    Tous prions que pour nous daigne prier
    Que de nous Christ ait merci,
    Après la mort, et à lui nous laisse venir.
    Par sa clémence.
 
Sainte Eulalie de Mérida est une vierge martyre morte en 304, célébrée dans un hymne de Prudence ( Peristephanon 3) et dans la célèbre Séquence de sainte Eulalie, premier texte littéraire en français.

Elle aurait dit après son jugement, au juge (dans plusieurs légendes hagiographiques, il s'agit du proconsul Dacien) :
Isis Apollo Venus nihil est,
Maximianus et ipse nihil:
illa nihil, quia factu manu;
hic, manuum quia facta colit

En français, ces quatre vers peuvent être traduits par : « Isis, Apollo et Venus ne sont rien, pas plus que Maximilien : ils ne sont rien car ils ont été forgés par la violence ; ici, des mains que le crime honore ».


<< Christian Broussas –Ste Eulalie - 18/12/2017 • © cjb © >>

lundi 25 septembre 2017

Poème à vivre

« Il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre. »  
Albert Camus - L'endroit et l'envers 

                       Il y a des jours comme ça
                           Qui résonnent jusqu’aux cieux
                           Des jours vraiment bénis des dieux,
                           Si merveilleux qu’on n’y croit pas.
 
                            Simplement des jours comme ça,
                           Douce quiétude sans tracas
                           Qui finalement, quoi qu’on fasse,
                           Nous mène à cet état de grâce  
                           Où rien ne paraît impossible,
                           Où l’on se sent presque invincible.

                           Ô, seigneur, qu’il en soit ainsi
                           Toujours, tout au long de la vie.
                           À partir d’aujourd’hui, chaque matin,
                           N’en déplaise aux esprits chagrins,
                           Chaque instant sera une fête.
                           Se mortifier serait bien bête
                           Pour se priver tant et encore
                           De quelques bulles de bonheur.

                            Ô, faudrait-il au plus intime
                           Qu’il y ait toujours des victimes
                           Qu’il y ait toujours des bourreaux
                           Pour maquiller le vrai en faux ?
                           Ô, suave paix intérieure
                           Propre à conjurer toute peur,
                           Il faut bien que tu nous entraînes
                           Sans ressentiment et sans haine
                           Ici, jusqu’au bout de la nuit,
                           Là-bas, jusqu’au bout de la vie.

                               

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L'âme de Courmangoux

              Hommage à Courmangoux - 01 -
              En forme d'acrostiche


           Fontaine à Roissiat

              Court, file douce âme de mon village,
             Ou grimpe, grimpe à travers les âges,
             Unit tous les hommes à ton image.
             Repart vers la carrière de Roissiat,
             Migre aussi vers l’étang de Chevignat,
             Abolit cet été de canicule
             Né de la sauvagerie du Grand Brûle,
             Gonfle ta grande voile de bonheur,
             Oui, ce village a une âme et du cœur,
             Une âme d’une compassion profonde,
             Xénophile et ouverte sur le monde.

          Le plan d'eau
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    << Christian Broussas • © CJB  ° • 18/07/ 2017  >>      
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La vie est rebelle

      
                        Oui, la vie est rebelle… belle… belle… belle…

                        Il faut la prendre comme telle… telle… telle …
 
                               Quand un matin elle est partie
                               Sans avertir, si loin de moi,
                               Je n’ai bien sûr rien compris,
                               Figé dans un trop-plein d’émois.

                               C'est alors que je partis pour
                               À mon tour aller faire un tour,
                               Petit tour du monde... monde… monde
                               Une grande ronde… ronde… ronde.

                               Puis un jour, je suis revenu,
                               Car il faut bien revenir,
                               Malgré les peines et les soupirs,
                               Pour déambuler dans ma rue
                               Tout étonné, le cœur à nu,
                               Mais, mais… je n’ai rien reconnu.
                               Les places, les rues, les avenues… nues… nues,

                               Tout me paraissait inconnu... nu... nu.

                               Rejetant loin tous les systèmes
                               Pour mieux rejoindre ceux qui aiment,

                               Le cœur bouillant d’espoir, de rêves,
                               En tous sens m’agitant sans trêve,
                               Je croyais que c’était ma voie
                               Qui s’ouvrait alors devant moi.
                               La jeunesse est si intrépide… pide… pide,
                               Qui, ses beaux rêves, dilapide... pide… pide.

                               Quand enfin je me suis retourné
                               Que d’eau sous les ponts avait coulé,
                               Tous ces rêves si vite envolés
                               - N’est-ce pas toujours leur triste lot ?-
                               Comme dissipés, tombés à l’eau,
                               Autant de souvenirs éventés.
                               Cette vie qui est de celles… celles… celles…
                               Qui toujours nous ensorcellent… cellent… cellent…

                               Où sont les combats qui nous portaient,
                               Ceux qui alors nous enthousiasmaient,
                               Pris dans la trame de nos envies,
                               Lorsque point le mitan de la vie ?
                               Ah, la vie n’est pas toujours fidèle… dèle… dèle

                               Qui quelquefois nous coupe les ailes… ailes… ailes.

                               Oh, que cela me sembla si lointain
                               Quand se profila l’heure de la fin
                               D’un voyage qui me parut si court,
                               Jeu du hasard jouant son dernier tour.

                               Mais oui, la vie est quand même belle… belle… belle…
                               De celle qui nous donne des ailes… ailes… ailes.
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                             << Ch. Broussas • © CJB  ° • 18/07/ 2017  >>

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mardi 19 septembre 2017

Là-haut sur le mont...

                      

                      Par beau temps, il y a tout là-haut dans le ciel
                     Des oiseaux éclatants qui planent, à leurs ailes
                     Suspendus, admirant de nouveaux paysages, 
                     En quête d’oubli, en quête d’un absolu
                     Où le présent s’abolit, où rien n’est plus,
                     Bien loin de tout dans cet horizon sans nuage.

                     Parfois, se dessine aussi un autre décor,
                     De la place de Roissiat des lueurs diaphanes
                     Filtrent la lumière au-dessus de la montagne,
                     Irisant l’azur de reflets multicolores
                     Qui étincellent pour s’engouffrer dans la pente
                     Et fusent dans l’air comme une étoile filante.

                     Il y a, quand le ciel bas écrase les formes,
                     Ce sentiment diffus qu’il n’y a plus de normes,
                     Ces brumes matinales poisseuses qui traînent  
                     En reptation sur le sol gras et s’égrainent
                     En myriades d’étoiles dans le soir tombant,
                     Noyant les perspectives en effaçant le temps.

                     Ce ciel changeant au-dessus du mont Myon,
                     C’est bien le temps contrasté des quatre saisons,
                     Une torpeur des après-midi pluvieux,
                     L’éveil printanier qui perle de tous ses feux,
                     Une nature qui se rouille puis décline
                     En un silence glacé qui donne le spleen.  
                     Ainsi, le cycle éternel d’un temps estival
                     Se métamorphose alors en un froid hiémal.
                      
                                
<<  Christian Broussas –Sur le mont- 18/09/2017 • © cjb © • >>

lundi 18 septembre 2017

Bourg en Bresse Floralies 2017

Depuis plus de trente ans...
                         
                      

Depuis leur création il y a plus de 30 ans, les Floralies de Bourg-en-Bresse ont pris une envergure considérable. Unique en Rhône-Alpes, cette exposition horticole et florale est devenue l'une des plus importantes de France, attendue par plusieurs dizaines de milliers de visiteurs.
                                 


L’exposition compte près de 10 000m² de mises en scènes paysagères.

- Un aménagement extérieur de 4 000m² où l’on peut s’initier aux différents climats de la planète.
- 4 nocturnes pour une promenade particulières dans l’ambiance nocturne des Floralies.
- Une création somptueuse imaginée par Interflora ainsi que par les fleuristes du Rhône et de l’Ain.


       
L'exposition est complétée par les manifestations suivantes :
- Un concours international d'apprentis paysagistes
- Des ateliers sur l'eau pour les enfants.
- Des ateliers de compositions florales pour les adultes.
- Des conférences sur le thème "Nos ressources en eau".
- Une exposition coordonnée avec les Floralies.

   
                      
<<  Christian Broussas –Bourg Floralies- 16/09/2017 © cjb © • >>

la vie clic clac qui claque

                                                                                         
                                         C’est comme ça la vie clic clac qui claque
                                         Au vent des joies, des peines et des espoirs,
                                         Y’a des jours où ça racle, où c’est ric-rac,
                                         Où l'on s’efface sur un au-revoir.
                                         La chance, l’occas, il suffit de la saisir
                                         À pleines mains, la modeler à ses désirs,  
                                         Il suffit d’être prêt, et surtout de vouloir,
                                         Il ne faudrait pas en faire toute une histoire !  

                                         Eh oui, c’est ainsi qu’elle doit aller la vie,
                                         Faite d’aléas, gens qui pleurent et gens qui rient,
                                         Comme un feu d’artifice, que ça pétarade,
                                         Projette des paillettes comme à la parade,
                                         Que ça crépite comme des coups de feu… tac, tac,
                                         À l’instinct, sans préméditation, tout à trac,
                                         Des friandises qui explosent dans la bouche,
                                         Des comédies pour Arlequin ou Scaramouche.

                                         Pour changer de vie, changer de planète,
                                         Vivre enfin tout simplement, faire place nette.
                                         Des rimes comme des notes qui claquent, claquent  
                                         Au vent des courants d’air et qui craquent et recraquent,
                                         Autant d’images de vie qui font chaud à l’âme
                                         Malgré tout, malgré les larmes et les drames.
                                         Alors, Il faut que ça éclate et qu’on s’éclate
                                         Quand s’ouvrent les vannes et que le cœur se dilate.
                                         Avec des rythmes endiablés qui se déchaînent
                                         Mêlés à de douces mélopées qui s’enchaînent :
                                         Il faut que la musique vive, que ça vibre
                                         Jusqu’aux tripes,  jusqu’au plus profond de nos fibres.

                                      
Eh oui, sans préavis, la vie va et vient, libre

                                         Comme l’air, espèce de bulle en équilibre
                                         Instable certes, mais n'est-ce pas, quelle chance
                                         Pour tous ceux qui y croient et qui ont confiance !

                                         Des rimes, j’ai ai plein pour vous dans ma besace,
                                         Toutes chaudes, toutes neuves, bien en place,
                                         Tout en romantisme pour des rimes tendresse,  
                                         Tout en suavité pour des rimes caresse.
 
                                         Il me faut sans tarder aux muses en appeler,
                                         Semer mes notes, affûter ma plume, mêler
                                         Euterpe avec son hautbois et sa longue flûte
                                         Aux sons clairs qui éclatent et s’élèvent en volutes,
                                         Terpsichore égrenant ses notes sur sa lyre
                                         Pour accompagner mes vers dans un joyeux délire,
                                         Une musique légère qui monte jusqu’aux cieux
                                         Régaler l’empyrée en égayant les dieux.

                                                   
                                                    
Euterpe                      Terpsichore
               <<  Christian Broussas – Clic clac- 14/09/2017 © cjb © • >>

samedi 2 septembre 2017

L'anniversaire de mariage

Virée gourmande en Bresse-Dombes



De l’extérieur, un restaurant somme toute assez quelconque, coquet, sans prétention mais égayé par une nuée de bégonias, de géraniums, de pélargoniums, de zinnias qui jetaient leurs nuances rouge orangé sur la longue façade en pisé zébrée de rondins de bois. Sur le côté, de petits rosiers inermes aux pétales roses et aubères alternaient avec des buis taillés en forme oblongue.
On était bien dans la Dombes fleurie.

Le corps principal de cette ancienne ferme bressane s’étirait le long d’un chemin qui débouchait sur la grand’route conduisant à Chatillon-sur-Chalaronne. Mais la cheminée sarrasine de forme carrée qui ornait le toit n’était certes pas d’époque. Mon père, relevant un peu son béret comme à son habitude, admirait d’un œil de connaisseur l’immense charpente qui déclinait en pente douce, terminée par une large travée qui séparait le bâtiment des humeurs du climat. 

- Tu admires le travail des artisans qui ont façonné cette charpente ?
- Elle doit bien avoir un siècle et tiendra encore sûrement plus longtemps que les constructions actuelles. 
La petite moue qui accompagnait ses paroles, que je connaissais bien, illustrait son admiration pour le savoir-faire de ces artisans qui avaient su façonner une charpente aussi bien équilibrée.
-Vois-tu, malgré tous les moyens techniques actuels, personne ne pourra rivaliser avec ce travail. Maintenant, on est trop pressés, on ne laisse pas assez sécher les bois, on n’a même plus de chênes de cette qualité, on raisonne d’abord  selon une logique de coût et de métrage.

     
  Vue de Chatillon sur Chalaronne              Ferme traditionnelle bressane


C’est ici, sous cette tonnelle, que tout à l’heure on prendrait l’apéritif  bien à l’abri du soleil, dans une douce fraîcheur, scrutant d’un œil scrupuleux la carte des menus comme si notre vie en dépendait. Dame, l’enjeu était de taille : il s’agissait de fêter dignement notre premier anniversaire de mariage, de marquer cette date par un repas d’exception.
Dès notre arrivée, une jeune femme –la belle-fille des patrons apprendrais-je plus tard- nous accueillit d’un large sourire, sans ostentation, mais aussi radieux que ses parterres de fleurs.

- Bonjour messieurs dames, venez vite vous mettre au frais sous notre avancée, il fait une chaleur d’enfer dans les voitures.
Une chaleur d’autant plus étouffante qu’à l’époque les voitures connaissaient rarement la climatisation.

Elle nous installa sans façon autour d’une table couverte d’une nappe à festons tout en continuant à faire la conversation avec les dames, vive et menue, la parole généreuse et le sourire toujours aussi avenant. Son ensemble bleu et blanc à volants rappelait à ma mère la tenue traditionnelle bressane qu’elle avait bien connue dans sa jeunesse, au temps où elle n’était pas encore cantonnée au folklore. Ne lui manquait que les sabots et la coiffe.

Sa tenue me rappela une photo de ma mère avec sa sœur Marie, prise dans la cour, devant la maison familiale de Domsure, village de la Bresse un peu plus au nord. Une photo petit format noir et blanc due sans doute à mon oncle Jules, leur frère aîné –les appareils photo étant loin d’être monnaie courante vers 1930- où les deux jeunes femmes riaient en regardant leurs pieds glissés dans les sabots de leurs parents, d’où dépassaient quelques fétus de paille. La génération des mes grands-parents fut la dernière à chausser des sabots dans leur quotidien.

Je me souvenais encore très bien, même si j’étais bien jeune alors, d’avoir vu ma grand-mère vêtue d’une longue robe noire qu’égayaient à peine quelques petits festons blancs et bleus avec sur la tête une petite coiffe blanche repassée et empesée avec un soin méticuleux. Je ne l’ai vue qu’une seule fois lors d’un comice agricole, défiler avec la grande coiffe à tuyau juchée sur la tête.

Je trouvais ma femme vraiment ravissante avec son ensemble bleu pétrole qui lui donnait des airs de midinette et des chaussures échancrées à brides d’un bleu légèrement plus foncé. Pour l’occasion, ma mère s’était acheté une robe couleur crème très simple, rehaussée d’un ourlet noir et d’un motif fait de minuscules fleurs bleues, tandis que mon père avait simplement ressorti son costume bleu de notre mariage et une cravate noire, la seule que je lui ai jamais vue porter. 

- C’est pratique, m’avait-il fait remarquer avec malice en la brandissant sous mon nez, elle sert aussi bien pour les mariages, les anniversaires que pour les enterrements.
Ce genre de saillie lui valait en général des regards noirs de sa femme. Aussi noirs que sa cravate. Pour ma part, j’étais habillé plutôt en décontracté, chemisette miel et pantalon d’été dans les mêmes tons clairs.

L’apéritif  nous séduit d’emblée par sa finesse et son côté terroir : canapés de bréchets braisés avec cubes de fruits de saison, servis avec un cocktail à base de vin de Cerdon. Nous serions bien restés dans cette ambiance champêtre et détendue avec devant les yeux deux charrettes fraîchement repeintes qui débordaient de plantes vivaces, des plumbagos qui tendaient leurs petites corolles bleutées… mais notre hôtesse nous invita à passer à table. Traversant le bar, elle nous conduisit dans une petite salle ouvrant sur une terrasse limitée par des jardinières exhibant, comme à l’entrée, des fleurs aux tons rouge-orangé.

 
Mézériat : l'église et la rivière La Veyle


Le choix de ce restaurant "Au coq hardi", à l’enseigne pas très originale, aurait pu aussi comporter comme nombre de nos choix, sa part de hasard. La région regorge de restaurants à l’excellence reconnue et choisir entre toutes ces merveilles offertes à mes faiblesses relevait du dilemme. Mais en l’occurrence, c’est mon ami Michel qui m’en avait vanté les avantages et son charme discret. Il le connaissait fort bien, habitant le village de Mézériat, à quelques kilomètres de là. À l’occasion d’une visite, il m’emmena flâner sans façon au centre du village et le long de la rivière la Veyle. J’en avais gardé un souvenir ému et l’envie d’y revenir.

Michel, je le connaissais depuis une dizaine d’années, le travail et une certaine connivence n’avaient pas tardé à nous rapprocher, se transformant peu à peu en amitié. J’aimais bien cette ferme bressane qu’il retapait avec une volonté têtue qu’il cachait sous sa bonhomie apparente. Héritée de ses beaux-parents, elle arborait une façade en torchis repeinte à la chaux, prolongée d’une pièce carrée faite de briques rouges et protégée par la large avancée typique du style bressan. 

Des tresses de maïs pendaient du toit et d’un côté, Michel y entreposait son bois de chauffage, à l’abri des intempéries tout en bénéficiant d’une circulation d’air qui lui permettait de sécher dans d’excellentes conditions. De plus, mon ami était un fin gourmet, la rondeur de ses formes qu’il exhibait sans complexes, était assez éloquente. Nous y allâmes donc en toute confiance et, sans dévoiler la suite, je dois dire que nous ne fûmes pas déçus. 

Restait maintenant à passer commande. La discussion s’engagea sur le menu. Ma mère en bonne bressane défendait son cher poulet de Bresse à la crème, ma femme penchait plutôt vers ces fameuses cuisses de grenouilles qui l’intriguaient, et moi j’optais plutôt pour un poisson… diable nous étions en Dombes, à la limite de la Bresse il est vrai. 

Quant à mon père, il s’en fichait, admirant le plafond fait de belles poutres mal équarries et d’un torchis blanchi à la chaux, regardant un couple avec leurs enfants s’installer à la table d’à côté, visiblement mal à l’aise dans ce costume qu’il portait rarement et gêné de n’avoir rien à faire. Il lui tardait de revêtir son bleu de travail avec crayon et mètre dépassant de la poche latérale du pantalon, de redevenir le maçon qu’il n’avait cessé d’être, même après avoir quitté la profession. 

Après d’âpres négociations, ma femme et mon père se rallièrent à  ma proposition tandis que ma mère ne démordit pas de son poulet à la crème. Notre hôtesse vint commenter le menu pour nous aider à choisir. Les enfants de la table voisine devinrent fort turbulents, les parents ayant manifestement beaucoup de mal à dominer la situation. Perturbée dans ses explications, elle s’efforçait de faire comme si de rien n’était malgré les marques de confusion qui empourpraient son visage. J’eus la lourde charge de choisir les vins, prenant l’avis d’un grand échalas porteur d’une carte des vins impressionnante qui, devant mon ait dubitatif, me préconisa un blanc du Bugey pouvant convenir à chacun. 

Après un sabayon délicat en entrée bercé par les cris des enfants, notre hôtesse revint et entreprit d’expliquer à nos bruyants voisins, non pas que leurs enfants nous indisposaient, mais qu’elle leur avait trouvé une table beaucoup mieux située, dans un endroit plus spacieux où les enfants pourraient jouer plus facilement. Elle poussa un soupir de soulagement quand ils acceptèrent avec empressement et qu’on pût poursuivre  notre dégustation dans le calme.

J’admirai son urbanité, son savoir-faire et son sens de la diplomatie pour avoir réussi à régler le problème d’une façon naturelle en donnant satisfaction à tout le monde.

    
Entrée d'une ferme-auberge bressane


Une jeune serveuse qui lui ressemblait prit le relais, annonçant fièrement la suite du repas : « Quenelles de carpe Petite sauce écrevisse, goujonnette de carpe avec une salade à l'huile de noix » tandis que ma mère attendait sans mot dire son poulet à la crème. Et le grand échalas avait raison : le vin blanc léger du Bugey se mariait admirablement avec nos choix.

Dégustant ces mets délicats, quelle ne fut pas notre surprise de voir apparaître un musicien, petit homme replet au sourire sympathique, vêtu d’un costume folklorique et portant ce que j’identifiai comme une vielle. Son accoutrement tenait plutôt me semblait-il du sans-culotte avec sa veste rouge et bleue, son pantalon rayé et ses sabots.

S’installant sur une petite chaise basse et gonflant son instrument qui égraina quelques notes aigrelettes avant de prendre sa pleine mesure, il entonna un chant très enlevé qui ravit l’assistance et fit lever les fourchettes des plus affamés. Au cours du morceau suivant, plus rythmé, il marqua la scansion en frappant le sol du talon de ses sabots.
Si ce ne fut pas le fameux trou normand au calvados, ce fut en tout cas un "trou bressan" musical.

Après cet intermède, les papilles furent de nouveau à la fête avec un chariot de fromages défiant l’imagination et laissant ma mère sans voix, ce qui était déjà un exploit. Heureusement pour moi, n’étant pas un inconditionnel du fromage, je me contentais d’un petit morceau de bleu de Bresse, me réservant secrètement pour le dessert tandis que ces dames craquèrent pour un fromage blanc nappé d’une belle couche de crème.    

Sans vraiment nous en apercevoir, le temps s’était écoulé à une vitesse folle quand notre jeune hôtesse nous proposa un dessert qui fut une nouvelle découverte : « Galette crème et pralines accompagnée d'un pétillant gris perlé rosé demi-sec ». Avec sagesse, le café gourmand fut finalement écarté au profit d’un café noir bien serré.

  
Ferme-auberge bressane


Sur le chemin du retour, ma femme se sentit mal, toute livide et prise de frissons, portant la main sur un ventre douloureux. Je dus arrêter en urgence la voiture pour qu’elle puisse se soulager. « Quel gâchis, devait penser ma mère qui ne pipait mot, ce qui était mauvais signe, un si bon repas ! »

Fâchée contre elle-même de sa fichue complexion qui l’avait mise dans cet état et vraiment marrie de cet incident, ma femme s’en voulait d’avoir un peu gâché la fin de la fête. Et pourtant, pourtant, elle avait fait preuve d’une grande sagesse en évitant le poulet à la crème, en se faisant violence pour refuser de reprendre du fromage. Et malgré tout, malgré tout, il semblait qu’elle ait abusé des bonnes choses. Ah, mon Dieu, que la Dombes est dure aux estomacs fragiles !

Mais nous ne tardâmes pas à connaître le fin mot de son indisposition.
Que nenni, la culpabilité de cette excellente carpe, que nenni la responsabilité de cette profusion de fromages, que nenni d’accuser les succulents desserts, que nenni le rôle de toutes ces bonnes choses qui nous avaient ravis…
Que nenni… ma femme était tout simplement enceinte ! Tout le monde en fut bien aise et ma mère n’eut plus qu’à nous féliciter !
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<< Christian Broussas Bresse-Dombes © CJB  ° • 21/08/ 2017  >>

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