vendredi 9 janvier 2015

Stendhal Mémoires d'un touriste

STENDHAL : Mémoires d'un touriste et Voyage dans le midi
STENDHAL et les voyages

Ensemble des récits de ses voyages en France, publié en deux tomes à Paris en 1838. Le premier tome est consacré à la Bretagne et la Normandie, le second nous entraîne successivement de Vannes en juillet 1837, Paris, le pont du Gard, Grenoble sa ville natale, les villes de Chambéry, Lyon, [1] Genève, Avignon, Marseille, puis il ait un détour en bateau par Gêne en Italie, revient à Toulon, visite Nîmes et Montpellier et termine son périple par Bordeaux à la fin septembre 1837.

« Mais quoi, me suis-je dit, quitterai-je l'Europe, peut-être pour toujours, sans connaître la France ? » écrivait-il dans Mémoires d'un touriste. Mu par une curiosité insatiable, Stendhal sillonne les provinces françaises en y relevant les différences dans les modes de vie, indique les tran­sfo­rma­tions socio-éco­no­miques et sociétales propres à son époque, notant que « les grandes villes sont en avance d'un siècle ou deux sur les petites », et la tendance à l'uniformisation des particularismes locaux dont les habitudes, les façons de vivre se calquent de plus en plus sur le mode de vie parisien.

  

"Voyage en Bretagne et Normandie" est en fait une commande de l'éditeur Ambroise Dupont, que Stendhal écrivit en 1837, au moment où paraissait La Chartreuse de Parme. En congé de longue durée de son poste de consul à Civita-Vecchia -où il s'ennuie- il part avec Prospère Mérimée qui est alors inspecteur général des Monuments historiques mais rejoint Nantes début juin 1837. Il décide de présenter son livre comme une fiction, un marchand de fer Philippe L. venu des colonies, découvrant la France.

Il est friand de « tout ce que les sots appellent des curiosités. Ce qui est curieux pour moi, c'est ce qui se passe dans la rue et ne semble curieux à aucun homme du  pays. » Il n'hésite pas non plus à se renseigner, à engager la conversation avec les gens qu'il rencontre. [2] L'écrivain Henry James précise dans son "Voyage en France" de 1884 : « Je suis ravi d'avoir l'occasion de citer Stendhal dont tout voyageur qui visite la France devrait emporter dans sa malle des deux volumes des Mémoires d'un touriste... partout il donne à réfléchir. Mais son défaut est qu'il ne donne jamais à voir... »    

Voyage dans le midi
« Le bonheur d'avoir pour métier sa passion !  » 
Ce texte passa pour le tome III des Mémoires d'un touriste mais son éditeur ne donnant pas suite au projet, Stendhal entreprit quand même ce voyage qu'il interrompit avant son terme. La relation qu'il en fit ne fut publiée qu'en 1932. Pour lui, « le roman est un miroir promené le long du chemin, » chemin qu'il a de nouveau parcourir pour s'offrir comme il l'écrit « le spectacle de l'humanité. » Voilà le ressort, la motivation de son profond besoin de voyager.

Le 8 mars 1838, il est à Bordeaux et descend à l'hôtel de France rue Esprit-des-lois. Il écrira beaucoup de biens de la ville [3] sauf le Grand théâtre de Louis. Il court au château de la Brède rendre un hommage appuyé à Montesquieu qu'il vénère. Toulouse lui plaît moins avec les cailloux de ses chaussées qui tordent les chevilles, sauf Saint-Sernin et l'église des Augustins. Par des routes cahotantes, la diligence l'emmène jusqu'à Montpellier où seul le musée Fabre semble l'intéresser mais moins que celui de Marseille, fort de ses admirables Puget.
Mais subitement, il décide de remonter vers le nord par la vallée du Rhône, "le voyage du midi" prend un tour septentrional et le récit s'interrompt de cette façon.

Stendhal et les voyages
En fait, Stendhal est un curieux voyageur qui se promène de ci, de là, sillonnant longtemps l'Italie puis la France, comme un insecte butine les fleurs. Ce n'est pas tant le voyage en lui-même qui l'importe et n'a pas vraiment de but précis, ce sont ces moments privilégiés où il note, cahotant parfois sur des routes incertaines, les incidents, les anecdotes, les impressions dont il est friand.

"Voyageur continental" qui a parcourut l'Europe, il se gorge de ce qu'il appelle « le spectacle de l'humanité » pour se l'approprier et libérer un jour ce nectar, par un processus littéraire mystérieux qui sans doute le dépassait, le transformer en portraits inoubliables de Fabrice del Dongo et de Clélia Conti, de Julien Sorel et de Mme de Rênal ou de Lucien Leuwen et de Bathilde de Chasteller. Cet intime mécanisme de création n'est pas sans rappeler cet autre processus amoureux qui transforme une femme en déesse, en être idéal et qu'il appelle la cristallisation.

Le voyage par monts et par vaux dans les sites de la "vieille Europe", c'est sa drogue, sa façon de participer au monde, s'oublier vers des rivages inconnus et oublier son "égotisme", écrivain qui a besoin de changer d'air avant de reprendre la plume dans l'univers confiné de son bureau ou de Civitavecchia.

     

Notes et références
[1] Voir aussi la fiche Lyon vue par Stendhal
[2] "Mémoires d'un touriste" pages 148 & 518
[3] « Lors vers minuit par un beau clair de lune, on sort de la rue Sainte-Catherine... avec au-delà la place de Tourny et les échappées sur le quai, on se demande si aucune ville au monde présente des aspects aussi importants... »

Voir l'ensemble de mes fiches sur Stendhal :
* Stendhal, « Un européen absolu »
* Stendhal et La découverte de l'Italie  --  Stendhal et La campagne de Russie -- 
* Stendhal : Armance -- Stendhal : Lamiel  --  Stendhal : Lucien Leuwen
* Stendhal consul à Civitavecchia  --  Stendhal : Mémoires d'un touriste
* Vie de Henri Brulard  --  Stendhal à Lyon, C. Broussas

Autres références* Stendhal à Grenoble et à Paris
* Présentation générale des œuvres de Stendhal
* Philippe Berhier, "Espaces stendhaliens", PUF, 1997

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Stendhal consul à Civitavecchia


« Puisque la mort est inévitable, oublions-là ». Stendhal

La Monarchie de Juillet n'a pas fait un cadeau à Stendhal en le nommant consul à Civitavecchia, qu'il appelle curieusement "l'abeille" dans sa correspondance, comme si le mot était tabou, petit port près de Rome le long de la mer tyrrhénienne. Il faut dire que sa réputation de jacobin bonapartiste le poursuit et que les Autrichiens n'en veulent pas à Milan, qu'il est "interdit de séjour" en Lombardie. A Civitavecchia, il s'ennuie, guettant le bateau à vapeur qui apporte des nouvelles ou convoie d'éventuels visiteurs. [1] Stendhal est alors un homme vieillissant et surtout toujours malade, souffrant en particulier de la goutte et de la gravelle, dont son cousin Romain Collomb dresse un portrait qui passe pour refléter la réalité : [1]

« Il était de taille moyenne et chargé d'un embonpoint qui s'était beaucoup accru avec l'âge... Il avait le front beau, l'œil if et perçant, la bouche sardonique, le teint coloré, beaucoup de physionomie, les col court, les épaules larges et légèrement arrondies, le ventre développé et proéminent, les jambes courtes, la démarche assurée... »
Il ne se fait guère d'illusions sur ses attraits physiques, comptant plutôt sur ses qualités d'esprit pour malgré tout continuer à séduire. Il prenait grand soin de sa personne, attiré par la mode qui lui permettait d'améliorer son image.

 Détails sur le produit

Il cachait sa calvitie sous un toupet d'emprunt, soignait ses favoris et son large collier de barbe, teints en brun. A Paris, il aimait se promener sur le boulevard des Italiens, le chapeau légèrement sur l'oreille et la cane à la main.

Lui-même a brossé son portrait son les traits de Roizand dans sa nouvelle intitulée "Une position sociale." Il le présente comme un homme d'esprit brillant dont « les saillies effrayaient les médiocres. » Pudique, il n'évoquait jamais ses sentiments profonds , « son orgueil aurait été au désespoir de laisser deviner ses sentiments. » En fait à Civitavecchia, il y résida fort peu. Il commença par prendre un appartement à Rome dans le palais Cavalieri. Si l'on en croit ce qu'il écrit dans "Une position sociale" il eut une aventure avec celle qu'il appelle la duchesse de Vaussey -en fait la femme de "son" ambassadeur la comtesse de Saint-Aulaire, belle rousse « aux yeux pervenche et aux poses alanguies. »

 File:Palazzo cavalieri di malta.jpg  Le palais Cavalieri

A Rome, il fait la connaissance des Cini, lui rarement là et elle Giulia ... qui lui plaît beaucoup. Il la surnomme "Cendre" -du latin cinis- ou "Earline" -de l'anglais "earl", comtesse- la petite comtesse. Dans son salon, on y pratique la musique et la poésie, ce qui lui rappelle le bon temps de Métilde à Milan et de la Ghita à Bologne. Mais quand sa chère Giulia Rinieri quitte Paris pour revenir chez elle à Sienne, il sait déjà qu'il sera désormais plus souvent à Sienne -ou à Florence où il se retrouvent aussi- qu'à Rome ou à Civitavecchia. Mais il apprend un jour que la belle a un autre prétendant, qui va parvenir à l'évincer.

Désespéré, il demande un congé de 3 mois et part à Paris o il s'étourdit, revoit ses amis Mérimée, Musset et Delacroix. Le retour est difficile et comme dérivatif, il visite la région napolitaine, y rencontre Lucien Bonaparte qu'il accompagne dans ses fouilles des sites étrusques. A forces d'absences, il se fait rappeler à l'ordre mais la chance veut que son nouveau ministre le comte Molé aime bien l'écrivain et lui accorde généreusement un congé étendu à 3 ans... avec maintien de son salaire. Il va être ainsi "en vacances" de mai 1836 à juin 1839.

Avec l'hôtel Marin-Delahaye sur la gauche et l'hôtel d'Aumont sur la droite. Le début de la rue Caumartin à Paris

Si la bougeotte le reprend, il a soudain s'enfermer dans sa chambre parisienne au 8 de la rue Caumartin où, du 4 novembre au 28 décembre 1838, il dicte le manuscrit de La Chartreuse de Parme. L'idée semble lui en être venue le 16 août, notant dans son Journal le projet de bâtir un "romanzetto" à partir de documents traitant de « l'origine de la grandeur des Farnèse. »
"Il est content avoue-t-il alors, ne serait-ce que pour son roman, il a reçu le soutien enthousiaste de Balzac. Le 24 juin 1839, il est de retour à son Consulat... juste le temps d'aller soigner sa goutte à Castel Gandolfo « chez la jolie comtesse Cini. »
Il lui reste alors à peine deux ans à vivre.

Notes et références
[1] Romain Collomb, 'Mon cousin Stendhal", éditions Slatkine, 1997

Voir l'ensemble de mes fiches sur Stendhal :
* Stendhal, « Un européen absolu »
* Stendhal et La découverte de l'Italie  --  Stendhal et La campagne de Russie -- 
* Stendhal : Armance -- Stendhal : Lamiel  --  Stendhal : Lucien Leuwen
* Stendhal consul à Civitavecchia  --  Stendhal : Mémoires d'un touriste
* Vie de Henri Brulard  --  Stendhal à Lyon, C. Broussas

Références bibliographiques
* Vie de Henry Brulard et Souvenirs d'égotisme, œuvres autobiographiques inachevées centrées pour le premier sur son enfance et le second  sur sa vie à Paris entre 1821 et 1830.
* Jean Goldzink, "Stendhal l'Italie au cœur", Gallimard, "Découvertes", 1992

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Stendhal et la campagne de Russie


Le 28 août 1812, il se trouve vers Moscou à Slaskovo d'où il écrit : « Je suis au pied d'un bouleau mort, dans un petit bois plein de poussière... voilà un mal-être complet. » Il fait l'estafette pour le compte de l'Empereur mais le parcours en temps de guerre et par des routes souvent défoncées n'est pas une promenade de santé, « les doux effets du pillage commencent à se faire sentir, » précise-t-il. [2]

Napoléon traversant la BérézinaHuile sur toile de Janvier Suchodolski, 1866, Musée national de Poznań        
La traversée de la Bérézina en 1812 (Huile de Suchodolski)      La retraite de Russie de Northern

Le périple continue, en août il passe la Bérézina alors rivière fort sage, sans se douter bien sûr que dans le froid glacial de l'hiver il en va tout autrement, arrive à Boyarinkov au quartier général de l'armée et entre à Moscou après les rudes combats de la Moskova. Moscou flambe, les russes allument constamment des feux, il devient très difficile de se loger mais il trouve finalement un logis chez des amis à l'Académie de médecine rue Rodjestvenska. Il est au palais  palais quand il doit en urgence prêter main forte pour contrer l'avancée du feu. [2]

File:Stamp of Russia 2004 No 954 Painting by S Prisekin.jpg
Timbre russe commémorant la bataille de Smolensk

Quand l'empereur donne le signal de la retraite après un mois passé à Moscou, il se replie en catastrophe vers Smolensk, harcelé par les cosaques, écrivant à la comtesse Daru sa cousine [3] « nos peines physiques de Moscou à ici ont été diaboliques... j'en gèle encore. » Rien de plus romantique, de plus tragique  que cette retraite où Stendhal fut exemplaire comme le rappelle Prosper Mérimée qui écrit que Stendhal  [4] « fut du petit nombre de ceux qui, au milieu des misères que notre armée eut à souffrir dans la désastreuse retraite de Moscou, conservèrent toujours leur énergie morale, le respect des autres et d'eux-mêmes. » Une farouche volonté lui permet de rejoindre Vilnius puis le port de Königsberg pour s'embarquer et rentrer en France.

Pierre Daru.Portrait par Antoine-Jean Gros.             
Son cousin Pierre Daru  & sa femme la comtesse Alexandrine    Sa sœur Pauline

Contrairement à son cousin Gaëtan Gagnon qui y laissa la vie, il écrit « je me suis sauvé à force de résolution... J'ai souvent vu de près le manque total de forces, et la mort. »  C'est un homme différent qui sort de cette épreuve. L'expérience engrangée dans cette éminente tragédie de 1812 ne l'entraînera pas à écrire son Guerre et paix, trop douloureuse sans doute pour être traduite sur un plan littéraire. [5]
Il aura cette réflexion notée dans son Journal : « La politesse des hautes classes de France... proscrit toute énergie et l'use si elle existait par hasard. » De son périple russe, il se remet doucement en ce début d'année 1813, y ayant même égaré le manuscrit -qu'il devra réécrire- de son Histoire de la peinture en Italie.


Notes et références
[1] Voir la contribution de Michel Crouzet aux actes du colloque UNESCO "Stendhal, campagne de Russie" publié en 1994
[2] Les citations de cet article sont pour la plupart extraites de son Journal et des Lettres à sa sœur Pauline, version éditions Le Seuil, 1994
[3] Celle qu'il appelle Sa "chère madame Palfy"
[4] "Stendhal" par commodité puisqu'il est encore monsieur Henri Beyle et n'a pas encore choisi ce nom de plume qui est curieusement celui d'un village de Saxe nommé "Stendal" où il est passé quand il sillonnait l'Europe avec l'armée d'Empire
[5] « La médiatisation de l'horreur par la littérature, Il faudra attendre Zola et le XXè siècle pour l'opérer » écrira Jean Lacouture dans son livre "Stendhal, le bonheur vagabond", Le Seuil, 2004

Voir l'ensemble de mes fiches sur Stendhal :
* Stendhal, « Un européen absolu »
* Stendhal et La découverte de l'Italie  --  Stendhal et La campagne de Russie -- 
* Stendhal : Armance -- Stendhal : Lamiel  --  Stendhal : Lucien Leuwen
* Stendhal consul à Civitavecchia  --  Stendhal : Mémoires d'un touriste
* Vie de Henri Brulard  --  Stendhal à Lyon, C. Broussas

Références bibliographiques
* Vie de Henry Brulard, œuvre autobiographique inachevée où il y évoque ses aspirations, son enfance, ses parents, ses amours et ses études à l'école Centrale de Grenoble;
* Souvenirs d'égotisme, œuvre autobiographique inachevée où Stendhal y raconte sa vie à Paris après la chute de Napoléon, de 1821 à 1830.
* Mc Watters, "Chroniques pour l'Angleterre", éditions Université de Grenoble, 1980, qui traite du Stendhal échotier dans la presse anglaise

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Stendhal et la découverte de l'Italie

Stendhal et Angela Pietragrua
« Un voyage pour être instructif, doit être une suite de jugements sur les divers objets rencontrés. » Lettre à sa sœur Pauline, août 1801

1- Un premier voyage -- 1800-1801
Le jeune Henri Beyle a aussi bien l'impression d'étouffer dans le conformisme grenoblois que dans un Paris qu'il trouve plein de « vanité et d'artifice. »

En 1800, ses cousins Daru [1] lui offrent l'occasion de rejoindre l'armée de Bonaparte en Italie. C'est son premier séjour, le début d'un grand amour avec ce pays. (qui n'est d'ailleurs pas encore un état) Il a 17 ans, pour lui c'est l'aventure.  Ce qu'il note ainsi : « Je ne dois donc pas me plaindre du destin. J'ai eu un lot exécrable de 7 à 17 ans [2] mais depuis le passage du mont Saint-Bernard... je n'ai plus eu à me plaindre. » Son cousin Martial Daru l'accompagne le 10 juillet sur la corsia del Giordano. Si pour lui Milan est « le plus beau lieu de la terre, » c'est aussi à cause de la belle Angela Pietragrua, même s'il a quelque réticence à l'évoquer plus directement, écrivant dans la Vie de Henri Brulard que « l'on gâte des sentiments si tendres à les raconter dans le détail. » 

 File:Milano brera cortile.jpg     
Milan Le palais Brera                                                      Le palazzo Moriggia

Si « Milan est une fête, » malgré la guerre qui continue en cette année 1800, pour Henri la ville est synonyme d'Angela la sulfureuse, qui le fascine plus que les soirées à la Scala, les promenades sur le Corso ou les succulents cafés de la Casa dei Servi. Par la grâce de ses cousins Daru, le voilà nommé sous-lieutenant au 6ème dragons, superbe dans son uniforme vert aux revers écarlates, complété d'un long manteau blanc, d'un casque doré orné d'une crinière noire. Il porte beau mais le soldat Beyle n'est pas très doué pour l'art militaire, piètre cavalier, médiocre sabreur -mais plutôt bon tireur- et de plus rétif à toute discipline. En fait de campagne d'Italie, le militaire se promène beaucoup dans la région des lacs,  en profite pour visiter Brescia, Mantoue, Vérone et une parie de la Toscane.

Décidément le jeune Beyle, malgré ses protecteurs, n'est pas fait pour la vie militaire et le Piémont où il est alors cantonné, est par trop différent de sa chère Lombardie. A la fin de l'année 1801, il est de retour en France, abandonnant la musique de Cimarosa... et sa très chère Angela.

                  La
                        Milan, piazza dei Mercanti,  La "Loggia degli Osii "

2- Le voyage de 1811
« Mon but en voyageant n'était pas  d'écrire, mais la vie de voyageur rompant toutes les habitudes, force est bien de recourir  au grand dispensateur de bonheur... »

Henri Beyle a pris peu à peu du galon, nommé auditeur au Conseil d'État et inspecteur du mobilier impérial. Il profite d'un congé de deux mois -prolongés ensuite d'un mois- pour filer en direction de l'Italie. Le samedi 7 septembre 1811, il arrive à Milan « où s'est passée l'aurore de ma vie » écrit-il avec emphase. Avec un immense bonheur, il y retrouve sa chère Angela Pietragrua, « je ne peux faire un pas dans Milan sans reconnaître quelque chose d'elle » ajoute-t-il. Elle est devenue son idée fixe. Quand il la revoit, il trouve immédiatement « toujours le grandiose qui est formé par la manière dont ses yeux , son front et son nez sont placés. » Il lui déclare en italien : « Angiolina, ti amo in ogni  momento ! » (Petite Angela, je t'aime à tout instant)

Mais les retrouvailles sont fraîches et il part pour Ancône revoir Livia Bialoviska qu'il connut à Brunswick pendant "son périple allemand" [3] mais son cœur est décidément resté à Milan. De retour auprès de sa belle, il visite avec elle le palais Brera et sa magnifique collection d'art. Amour plus cérébral que  physique, écrira-t-il, car « la cristallisation, c'est l'entrée en pathétique. »  [4]
Sa volonté, son entêtement seront enfin récompensés et Angela finit par lui céder « le 21 septembre "at" onze heures et demi , je remporte cette victoire si longtemps désirée » écrit-il dans son Journal.
Après les événements milanais, la bougeotte le reprend, il passe par Bologne qui ne l'émeut guère, par Florence où il cherche la maison d'Alfieri, visite la palais Pitti qu'il trouve surfait mais est conquis par la vue qu'offrent les jardins Boboli. Décidément, son humeur chagrine ne le porte pas à l'indulgence et à Rome il ira surtout admirer les loges de Raphaël. [5]

Logge de Raphael, grotesques                        
Loges de Raphaël  :  détail des “grotesques” et Adoration du veau d’or   

Le 8 octobre, il  est à Naples [6] où de son hôtel, il peut admirer la masse majestueuse du Vésuve où il ira ensuite faire une randonnée mais Pompéi le déçoit et il s'ennuie à l'opéra San Carlo qui donne une œuvre de Spontini. Énorme déception  quand il revient à Milan le 22 octobre et qu'il s'aperçoit que la belle Angela est partie du côté de Varèze... avec son mari. Il y court mais après une scène de vaudeville, il revient errer dans Milan entre l'auberge della Città et le café san Quirico.Il ne perd pourtant pas son temps, ruminant l'idée d'écrire un livre sur la peinture italienne. Du palais Brera à l'Ambrosienne, il  hante les œuvres de Giotto, Mantegna, Vinci, Le Titien qu'il mettra du temps à goûter, Guido Reni et surtout Le Corrège qu'il adore.

Histoire De La Peinture En Italie de Stendhal
Stendhal : Histoire de la peinture en Italie                       édition de 1925

De toute façon, son congé se termine bientôt et il doit regagner la France, aussi note-t-il le 6 novembre « je l'ai quitté près de l'arcade de la place des Marchands... » Il repart pour Paris en passant par Grenoble sa ville natale pour embrasser sa sœur, sa chère Pauline.
La revit-il ? L'épilogue est conté par Prospère Mérimée, ami exigeant, qui écrivit un livre au titre transparent "H. B." [6] où il écrit  qu'une ultime rencontre eut lieu lors d'un autre voyage de Stendhal en Italie, le 15 novembre 1815 qui signa leur rupture définitive.)

Mais écrit Jean Lacouture en guise de conclusion de cet épisode, « il a approfondi sa liaison amoureuse avec avec ce morceau de ciel (ce pezzo di cielo) qu'est l'Italie à la veille du Risorgimento. » [7]
  
La bibliothèque ambrosienne

3- Le syndrome de Stendhal (ou « syndrome de Florence »)

Cette manifestation psychologique est appelé ainsi en référence à l'expérience vécue par Stendhal lors de son voyage en Italie, à l’étape de Florence, en 1817. Il écrit alors :
« J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. »
— Rome, Naples et Florence, éditions Delaunay, Paris - 1826, tome II, p. 102
Stendhal ne s'y attendait absolument pas et, s’asseyant sur un banc de la place, il se mit à lire un poème pour se remettre de ses émotions. Il s'aperçut que ses visions empiraient, à la fois épris et  malade de tant de profusion, de manifestations de la beauté artistique.
Le facteur déclenchant de la crise est lié à la visite de l’un des 50 musées de la ville. Le visiteur semble se rendre compte du sens profond d'une œuvre, ressentant très fortement l'extrême émotion qui s’en dégage et qui transcende la vision qu'il a de l'œuvre. Ce phénomène peut déclencher de l'agressivité ou même une véritable crise d'hystérie.

 Florence_offices ponte vecchio corridor vasari.jpg
Florence : Les Offices & le Ponte Vecchio

Notes et références
[1] Ses cousins Daru sont bien en cour auprès du Premier Consul (puis de l'Empereur), l'aîné Pierre est de l'entourage de Bonaparte, "secrétaire général à la guerre" et sera fait comte d'empire
[2] À 7 ans, il perd sa mère, ce qu'il vit très mal et reportera son amertume contre son précepteur l'abbé Raillane. A l'école centrale de Grenoble, il passe pour un élève cabochard et brillant
[3] Livia, veuve d'un officier polonais, a été sa maîtresse lors de son séjour à Brunswick puis est revenue chez elle à Ancône
[4] Revenant sur ce thème, il en donnera cette définition : « l'acte de folie par lequel on voit toutes les perfections dans l'objet  qu'on aime s'appelle  la cristallisation. » Définition qu'il dit devoir à son amie Ghita Gherardi dans son livre Rome, Naples et Florence  et qu'il reprend ensuite dans son essai De l'amour
[5] Au Palais du Vatican, le pape Jules II fait appel à Raphaël, après la mort de Bramante, pour construire des loges (loggias)  sur la façade Est du Palais apostolique.
[6] Prosper Mérimée, "H.B." suivi de Lettres libres à Stendhal, éditions Slatkine, 1998
[7] Voir Jean Lacouture, "Stendhal, le bonheur vagabond", éditions Le Seuil, 2004

Voir l'ensemble de mes fiches sur Stendhal :
* Stendhal, « Un européen absolu »
* Stendhal et La découverte de l'Italie  --  Stendhal et La campagne de Russie -- 
* Stendhal : Armance -- Stendhal : Lamiel  --  Stendhal : Lucien Leuwen
* Stendhal consul à Civitavecchia  --  Stendhal : Mémoires d'un touriste
* Vie de Henri Brulard  --  Stendhal à Lyon, C. Broussas 

Références bibliographiques
* Vie de Henry Brulard et Souvenirs d'égotisme, œuvres autobiographiques inachevées centrées pour le premier sur son enfance et le second  sur sa vie à Paris entre 1821 et 1830.
* Jean Goldzink, "Stendhal l'Italie au cœur", Gallimard, "Découvertes", 1992

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