mercredi 8 janvier 2014

Stendhal Armance

1- Introduction
Stendhal, qui aime jouer au chat et à la souris avec ses lecteurs, affirme en préambule de son roman, qu’il ne fait que corriger un roman qu’on lui a soumis, roman qui de plus ne comporte aucun nom d’auteur sur les premières pages. [1] Son ambition comme il l'annonce est de présenter « un miroir au public », formule qui deviendra l'un de ses thèmes favoris.



2-  La trame du récit
Octave de Malivert est un jeune homme de vingt ans, lauréat de l’Ecole polytechnique, qui a « beaucoup d’esprit, une taille élevée, des manières nobles, de grands yeux noirs les plus beaux du monde ». Il aurait tout pour plaire s'il n'était aussi mélancolique,  « vit comme un être à part, séparé des autres hommes »,  sujet à des sautes d'humeur qui lui ont fait agresser sans raison un domestique et participer à une rixe avec des soldats, ce qui inquiète beaucoup sa mère la marquise de Malivert qui l'envoie se changer les idées chez  la marquise de Bonnivet.

Sur ce, on apprend le vote de la « loi d’indemnité, » dédommagement pour les nobles "spoliés par la Révolution, loi qui avantage grandement Octave qui devient un bon parti pour le mariage. Dans le salon de Madame de Bonnivet où rencontre une cousine Armance de Zohiloff, dont on nous dit qu'elle vient d'une noble famille russe, droite, sérieuse, que Madame de Bonnivet a recueillie, pas vraiment impressionnée par la bonne fortune récente d'Octave. Il s'est mis en tête de prouver à Armance que cette manne financière ne l'a changé en rien, et même s'il ne pense pas avoir de penchant particulier pour Armance, pense souvent à elle. Le "bon parti" prend de l'assurance, brille dans les salons, suscitant l'admiration d'Armance qui comprend qu'elle est très amoureuse de lui.

Octave par contre ne se sent pas du tout amoureux et, pour s'éloigner de lui, elle évoque une histoire de promesse de mariage, sans en dire davantage, ce qui excite la curiosité d'Octave. Le marivaudage se poursuit quand elle apprend la vie dissolue qu'il mènerait et son idée de passer pour  amoureux de la comtesse d’Aumale, afin qu'on ne trouve pas suspect le fait qu'il continue à fréquenter l’hôtel de Bonnivet. C'est alors que la mère d'Octave se met en tête de le marier avec Armance, sans le consulter. La jeune fille le comprend, elle, pauvre orpheline, et repousse le projet, de peur d'y laisser sa réputation et de décevoir Octave.

        
Vues du château d'Andilly

C'est au château d’Andilly où tout le monde est  réuni qu'Octave avoue sa duplicité à une Armance folle de joie. C'est alors qu'Octave se rend compte qu'il l'aime et cette révélation l'atterre, lui donne le sentiment de s'être renié, nie cet amour et lui annonce sa décision de s'embarquer pour l'Amérique. Sur ce, il part gagne Paris où il tue en duel dans le bois de Meudon le marquis de Crêvecroche qui lui cherchait querelle. Lui-même est  sérieusement blessé, défaille, fait avertir ses proches dont Armance. Il lui déclare enfin sa flamme tandis qu'elle lui avoue n'avoir jamais songé au mariage avec un autre.

C'est juré, entre eux s'il sen tire, il ne sera jamais question de mariage.Ils se retrouvent enfin à Andilly où, écrit Stendhal « Ces deux jeunes cœurs étaient arrivés à cette confiance sans borne qui fait peut-être le plus doux charme de l’amour. » Même si Armance fait alors un bel héritage, leurs relations deviennent difficiles se compliquent, Octave est jaloux d'un certain chevalier de Bonnivet et Armance se persuade qu'il voit en secret Madame d’Aumale. Octave est de nouveau sujet à des crises d'angoisse, s'éloigne de la jeune fille. De plus, le commandeur de Soubirane, frère de Madame de Malivert, n’ayant jamais accepté le mariage, s'arrange pour faire échouer le projet de mariage, qui aura quand même lieu. e plus en plus déprimé, il décide de partir en Grèce combattre les infidèles et se suicide au cours du voyage, scellant à jamais son secret tandis que sa mère et sa femme, apprenant le drame, décident de devenir religieuses.

3- Analyse et commentaire
Dans ce roman d'un romantisme tranché, Stendhal commence une recherche qu'il poursuivra toute sa vie -y compris avec son dernier roman inachevé Lamiel- sur l'évolution du sentiment amoureux, les diverses formes qu'il peut prendre dans ses développements. Il était lui-même bien placé pour analyser ce sentiment, vu le nombre de conquêtes -de bonheurs, de déceptions, de ratages- qu'il a connues au cours de sa vie, de la sage Métilde Dembovski, [2] l'érotique Giulia Rinieri, jusqu'à la délicieuse Mme Azur Alberthe de Rubempré et celle qu'il appelait la "divine catin" Angela Pietragrua. Et bien d'autres... [3]

A partir d'une conversation avec son amie Ghita Gherardi, confie-t-il dans Rome, Naples et Florence, [4] il définit quatre états dans la naissance et le développement de l'amour : L'admiration, le charme réciproque, le début de l'espérance et ce qu'il appelle la cristallisation, c'est-à-dire quand "on s'exagère avec délices la beauté et les mérites de la femme qu'on aime". [5]
dans son essai De l'amour,  il dégage 4 sortes d'amour qu'il présente ainsi : l'amour-passion type Héloïse et Abélard, l'amour-goût type Marivaux ou Mme d'Epinay, l'amour-physique combiné souvent aux 3 autres et l'amour-vanité ainsi fait pour fortifier son ego.

     
Différentes éditions d'Armance

Notes et références
[1] Comme il l'a déjà fait pour La Chartreuse de Parme ou les Chroniques italiennes.
[2] Suite à sa rupture avec Métilde Dembowski, pour qui il nourrit une folle passion durant trois années, il écrit De l'Amour, essai dans lequel il décrit le phénomène de « cristallisation » amoureuse qu'il décrit ainsi dans une lettre à son ami Antonio Benci datée du 3 mai 1824 : « Sorte de folie qui fait voir toutes les perfections et tout tourner à perfection chez l’objet aimé. »
[3] Sa vie, écrit-il dans "Vie de Henry Brulard" « pouvait se résumer par les noms que voici, et dont j'écrivais les initiales sur la poussière […] : Virginie (Kubly), Angela (Pietragrua), Adèle (Rebuffel), Mélanie (Guilbert), Mina (de Griesheim), Alexandrine (Petit), Angeline, que je n’ai jamais aimée, (Bereyter),  Métilde (Dembowski), Clémentine, Giulia, et enfin, pendant un mois au plus, Mme Azur dont j’ai oublié le nom de baptême, et, imprudemment, hier, Amalia (B). » 
[4] Voir ma présentation de Rome, Naples et Florence dans Stendhal "un européen absolu"
[5] Sur l'anecdote qui explique le choix du mot "cristallisation", voir Jean Lacouture, "Stendhal le bonheur vagabond", Le Seuil, et "De l'amour" I, chapitre2

Voir l'ensemble de mes fiches sur Stendhal :
* Stendhal, « Un européen absolu »
* Stendhal et La découverte de l'Italie  --  Stendhal et La campagne de Russie -- 
* Stendhal : Armance -- Stendhal : Lamiel  --  Stendhal : Lucien Leuwen
* Stendhal consul à Civitavecchia  --  Stendhal : Mémoires d'un touriste
* Vie de Henri Brulard  --  Stendhal à Lyon, C. Broussas 

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